Chers tous,
Enfin, enfin, voici un nouvel article. Ce n’est pas tous les jours simple de tenir un blog, rédiger un article qui vaille la peine d’être lu nécessite un certain travail. Mes nombreux investissements personnels, notamment en politique me prennent certes beaucoup de temps, mais ce n’est pas tout. Depuis plusieurs mois, je vis le “traumatisme de la page blanche”, dans une déclinaison assez forte. Et cela m’a mené à faire un peu d’introspection.
Si j’écris cet article, c’est pour partager une “révélation” que j’ai eue. Vous le savez peut-être (ou non), je termine une formation d’ingénieur. Vous le savez peut-être (ou non), j’ai eu la chance de travailler quatre mois l’année dernière à Cologne, chez dw capital, un incubateur de start-ups. Le jour de mon départ, un certain nombre de cadeaux m’ont été offerts. Parmi eux se trouvait un livre, “55 Gründe Ingenieur zu werden“, les 55 raisons de devenir ingénieur. Il m’a été offert parce qu’après être allé pendant un an en business school, j’allais retrouver les bancs de mon école d’ingénieur.
En octobre 2011, j’ai ouvert ce livre, et ai commencé à le lire. L’auteur présente en introduction sa joie d’être ingénieur, puis liste les fameuses 55 raisons. Elles sont intéressantes, toutes. Mais cette “révélation” dont je parlais, c’est la raison n°1.
“…weil Ingenieure Künstler sind” — “…parce que les ingénieurs sont des artistes”.
Choc #1 : je suis en dernière année d’école. J’ai voulu devenir ingénieur depuis mes 8 ans, et en systèmes embarqués depuis mes 15 ans. C’est une vocation. Et jamais — jamais — je n’avais réalisé cela alors que c’était évident.
Choc #2 : s’est produit quand j’ai réalisé avoir été choqué par cette raison. Mon père est ingénieur, ma mère est artiste. S’il y a une personne qui aurait dû faire le lien facilement, c’est bien moi!
Theodore von Karman, un ingénieur notable du XXe siècle, a résumé cela en une formule :
A scientist discovers that which exists. An engineer creates that which never was.
Voilà l’essence de la chose. Être ingénieur c’est créer. Créer, c’est ce qui définit un artiste.
Depuis lors, je suis d’autant plus sensible à ce que disait Steve Jobs, qui voulait qu’Apple soit au croisement de la technologie et des sciences humains. Car un lieu de rencontre en général, et celui-ci en particulier, est un lieu de création. De la même manière, je comprends l’idée de “cross-fertilisation” mentionnée par Tim Cook.
Pour conclure cette partie analyse, je crois que l’archétype de l’ingénieur doit être, et est pour moi, Léonard de Vinci. Capable d’imaginer des machines, de conduire des recherches, de dessiner, de peindre. L’ingénieur doit être un créatif.
Maintenant je ne crois pas que tout le monde puisse être Léonard, à commencer par moi. Mais je crois que l’ingénieur devrait avoir un minimum conscience de cet état de fait. Le lendemain de cette lecture, j’ai interrogé quelques personnes, et pour la plupart cela était peu signifiant. Et il se peut tout à fait que je sois un illuminé. Et je ne prétends pas non plus détenir la vérité.
Ce que je décris vient certainement de la fin de la Renaissance, avec le début de l’humanisme. C’est à cette époque que la science au sens moderne commence. Et pour la science c’est certainement une très bonne chose! Pour l’ingénieur aussi, mais comme son métier n’est pas uniquement scientifique, en étant ouvert sur le monde, il faut l’embrasser de manière plus holistique. Après tout, même Newton, souvent considéré comme étant le père de la science moderne, était versé dans des domaines que l’on pourra juger fort peu “scientifiques”.
Pour conclure, je vais mentionner deux conséquences que j’entrevois.
La première concerne le domaine des start-ups, où peut-être plus qu’ailleurs il faut des artistes-ingénieurs, pour imaginer de nouvelles solutions, mais aussi de nouveaux secteurs.
Le corollaire de ce point est qu’il faut se méfier des stéréotypes. Je suis dans une école d’ingénierie informatique, et je vois bien le visage des gens quand la formule “ingénieur informaticien” est prononcée. Il ne faut pas se laisser polluer par ce stéréotype. Ces gens prompts à juger sont par ailleurs certainement très heureux de pouvoir aller sur Facebook depuis leur smartphone.
La seconde conséquence concerne les études d’ingénieurs. Je ne veux pas me lancer dans une critique généralisée du système. Système dont je suis un produit et auquel j’adhère pour la majeure partie. Je préfère ne pas me désolidariser quand je vois quelque chose à améliorer, mais rester et faire mon possible pour apporter ma pierre à l’édifice. La formation scientifique est, à mon humble avis, excellente. Mais je me demande s’il ne serait pas judicieux de donner une part plus importante à l’initiative personnelle, surtout à la fin des études. Sur ce point j’avancerai avec beaucoup de prudence, car je parle bien d’initiative personnelle, et je suis le premier à dire vouloir moins de système et plus d’individuel.
J’en viens à la fin de ce propos. Pour moi il représente un risque, mais je tenais à partager cette idée. Si vous lisez ceci et que vous êtes ingénieur, s’il vous plaît soyez indulgent envers le néophyte que je suis. Vous penserez peut-être que je réinvente le fil à couper le beurre. C’est tout à fait possible. Vous penserez peut-être que j’en fait des tas pour fort peu de choses, que tout ceci est bien superflu. Nous ne serons pas d’accord, et cela ne me froisse pas, chacun a le droit à son opinion. Mais si pour au moins une personne, cela écarte des oeillères autant que cela a été le cas pour moi, alors je jugerai mon travail accompli.
Merci de m’avoir lu, et n’hésitez pas à vous exprimer via les commentaires.
PS.: Merci à dw capital pour ce livre, et pour m’avoir grandement mis sur la voie.
Crédits photographiques : L’homme de Vitruve, par ce brave Léonard, et pris en photo par Luc Viatour (CC BY-SA 3.0)
Ingénieur également, j’ai mis 10 ans à comprendre qu’un ingénieur est un artiste. Ensuite j’ai commencé à comprendre mon parcours et mes motivations. Explorer, faire ce qui n’a pas encore était fait, faire autrement pour un meilleur résultat, améliorer, imaginer, dessiner puis réaliser et fabriquer.
L’ingénieur est aussi en prise directe avec la nature puisqu’il est tenu de jouer avec les lois de la physique, et donc la nature. C’est un métier extraordinaire, et totalement incompris.
Merci PERGAME pour votre commentaire (et mes excuses pour mon retard à le valider!!!). Je suis touché de lire que vous partagez cette sensibilité.
Je vais me permettre de rajouter un élément qui m’est apparu seulement après la rédaction de cet article. Et ce ne sera qu’un commentaire, car il s’agit vraiment d’un sentiment personnel, très largement apologétique pour notre profession! Je souhaite en effet faire référence au mythe principal de la création de l’humain dans la mythologie grecque, à savoir le mythe de Prométhée et Épiméthée. Je passe les détails (que Wikipedia restituera bien mieux que moi), pour en venir à l’élément qui m’intéresse. Prométhée dérobe pour les humains deux facultés : le feu, à Héphaistos, mais aussi (et je crois qu’on l’oublie souvent), les arts (au sens premier, ingénierie donc comprise), à Athéna. Mon sentiment est que si l’on combine ce mythe, qui bien qu’étant un mythe, enseigne quelque chose de profond sur la ‘nature humaine’, avec l’idée très humaniste du travail comme processus d’humanisation ; il me semble que cette profession est une voie remarquable pour avancer dans les voies qui nous sont tracées!
(Oui j’ai une très haute estime de l’ingénieur. The challenge is to live up to it 🙂 )
Je suis tombé sur votre texte alors que je faisais des recherches sur un travail que je vais faire réaliser par une quinzaine de jeunes ingénieurs que j’emmène à la biennale d’architceture de Venise en novembre prochain. Le thème est le suivant : “Le rêve et l’imaginaire dans le travail de l’ingénieur”.
Je suis moi-même ingénieur (de formation), mais très sensible à l’art en général, et à l’architecture en particulier.
L’un des architectes de Future System disait : “même l’ingénieur de chez Boeing est un artiste !”
Merci Bastien 🙂
C’était un vrai plaisir de te retrouver !